jeudi 5 juillet 2012


VUE D’EXPOSITIONS

par Loraine Baud
Oeuvres et Catalogue "Cheville ouvrière" réalisés dans le cadre de la résidence d'artiste à Monflanquin/ Pollen.

Une exposition « doit instruire le spectateur du sujet
et de ses principales circonstances, du lieu de la scène
et même de l’heure où commence l’action, du nom,
de l’état, du caractère et des intérêts de tous les
principaux personnages. [Elle] doit être entière, courte,
claire, intéressante et vraisemblable »
Manuscrit 559 de la BNF dit de La Bruyère

Dans son acception théâtrale, une exposition est ce premier moment d’une pièce destiné à présenter au public tout ce qu’il a besoin de connaître pour comprendre l’action. Morgane Fourey construit ses expositions en introduisant ce procédé de la mise en scène. Pour « Figures profanes » où elle fait surgir des traces

d’une possible vie de chantier dans l’abbatiale Saint-Ouen à Rouen ou pour « Cheville ouvrière », l’artiste faisait intervenir cette dimension de théâtralité et transformait l’espace d’exposition pour y créer une mise en scène de ses oeuvres.

A Pollen-Monflanquin, l’artiste présente une exposition de prime abord sans oeuvre. Profilés en mousse bleus adossés contre un mur, caisse de transport en bois, cartons remplis de particules

de calage. Autant d’indices et de témoins du passage d’oeuvres qui évoquent un montage d’exposition

et se fondent dans le décor d’un centre d’art. L’exposition : un moment entre-deux dans la vie des oeuvres, un passage, une transition.

Dans la plus grande économie de la vision, les oeuvres révèlent peu à peu leur présence. Après un examen minutieux, leur caractère illusionniste surgit : la mousse s’est faite bois, le polystyrène marbre. L’ambiguïté du matériau est renforcée par celle de l’usage même des objets représentés et créé une confusion par les contradictions entre le rigide et le mou, le fragile et le solide, le précieux et le trivial.

Puisant son vocabulaire dans les champs du fauxsemblant et du trompe l’oeil, la pratique de Morgane Fourey conjugue la tradition d’imitation de la peinture classique et la réappropriation des techniques liées à l’artisanat, notamment celles des peintres en décor. Historiquement attachée à représenter des volumes et des formes tridimensionnelles en une surface plane, la technique du trompe l’oeil provoque l’illusion de la présence d’objets réels par une palette d’effets de perspective et de jeu de texture. Mais si l’artiste use de ces artifices, son travail se définit davantage comme une peinture en volume, articulant la sculpture et l’espace de représentation défini par la peinture.

Ici, la touche du peintre apparaît comme une empreinte invisible. Si le trait est précis, le travail minutieux, Morgane Fourey restitue la matière de chaque objet tout en lui refusant la fonction qu’il recouvre habituellement. Jouant sur l’organe de la vision et de la perception, la facture de l’oeuvre cherche à imiter avec un matériau différent la matière de ce qui est reproduit ou présenté. Par l’artifice d’une nouvelle matière picturale, un effet de vérisimilitude de l’objet représenté est créé, alors même que la surface peinte contredit la matière de l’objet.

Au-delà de la ressemblance entre l’objet représenté et son double, c’est un rapport de contiguïté entre le contenant et le contenu, celui de la matière pour objet, qui opère. S’emparant de l’objet même de l’exposition, elle explore la frontière entre objets d’usage et oeuvres d’art. Par cette pirouette de la métonymie, c’est bien l’ambiguïté de ce statut de l’oeuvre qui est mise à jour.

Dissimulant ce qui est caché, la peinture agit ici du même coup comme un révélateur de ce qui devient alors au centre de l’attention. Plus largement, Morgane Fourey met à vue et donne une présence physique à ce qui est généralement de l’ordre du caché. Elle déplace ainsi le regard vers ce qui semblait effacé de la mémoire.

Fixant les objets à la fois par l’acte de la peinture et par leur mise en scène dans un espace, Morgane Fourey arrête l’image sur la photographie d’un moment : celui du montage, de la construction, engageant une activité invisible. Par là même, elle introduit une certaine dramaturgie en transformant l’espace d’exposition en véritable scène de théâtre, vidée de ses acteurs. Malgré leur absence de la scène, c’est bien sur le travail de ceux qui agissent et fabriquent en amont – les artisans, les restaurateurs, les régisseurs – que Morgane Fourey porte son regard. Par là même, l’artiste rend hommage au travail discret et caché des métiers de l’ombre, celui des garants de l’exposition.